Sont-ce les mots qui me choisissent ? Ou bien est-ce moi qui choisis mes mots ?
Il m’arrive si souvent que les mots restent coincés… Au bout de ma langue… À la pointe de ma plume… En suspension au dessus de mon clavier.
Ils tournent autour de moi sans même me laisser le temps de les saisir. Ils m’échappent. Ils s’éloignent. Me laissent plantée là. Comme une idiote. Bouche ouverte. Stylo en l’air. À claquer des doigts pour essayer de les appeler à la manière dont on voudrait amadouer un chat sauvage.
Peut-être que les mots sont sauvages. Peut-être qu’il faut les appâter, les caresser, les apprivoiser.
Les mots que j’écris, comme ceux que je dis, sont maîtrisés, choisis… Pour ainsi dire domptés.
Mais ces mots qui m’échappent ? Ceux qui prennent la fuite lorsque je les approche. Ces mots-papillons qui s’envolent en nuages obscurs et se dispersent. Qui sont-ils ?
Un jour, un enfant m’a demandé « Et toi, c’est quoi ton mot préféré ? ».
Un mot préféré. Un mot qui au-dessus de tous les autres mériterait le panthéon de mon amour absolu. Question impossible s’il en est ! Comment faire ce choix ?
J’ai cherché dans le sens des mots. Les mots universels. Les mots-idéaux. Mais aucun ne se détachait. Tous sonnaient lieux-communs et finissaient par perdre de leur splendeur.
Alors j’ai changé mon approche. J’ai recherché la beauté absolue, la beauté intrinsèque des mots. J’ai recherché l’existence qu’ils pouvaient avoir au-delà de leur sens, juste pour la beauté de leurs syllabes, de leurs rythmes, de leur musicalité. T’est-il déjà arrivé de répéter un mot tellement de fois qu’il finisse par en perdre sa raison ? Que tu ne saches plus où il commence ni où il finit ? De le laisser s’enrouler sur lui-même au point qu’il ne devienne qu’un cercle absolument parfait ? Au point qu’il se soit totalement, complètement, dissocié de son sens et ne soit plus qu’une mélodie ?
Un mot qui perd son sens est-il encore un mot ? Quelle existence lui donner s’il ne permet plus d’exprimer une pensée, une abstraction, un objet ? Et d’ailleurs, à l’inverse, ce qu’on ne peut nommer existe-t-il ?
Je m’égare un peu, pardonne-moi !
Tu l’as sans doute compris, cette question du mot préféré m’a hantée des jours et des nuits.
Chaque fois que je m’approchais d’un mot qui semblait répondre à la question, il devenait mot-papillon et s’envolait dans le lointain.
Je me retrouvais dans mes rêves avec un filet à leur courir après. Et parfois, au cours de la nuit, certains se posaient sur mon épaule et murmuraient à mon oreille. Mais au petit matin, alors que j’ouvrais les yeux et reprenais conscience ils s’enfuyaient de nouveau.
Et puis j’ai fini par comprendre. Je n’ai pas un mot préféré, j’en ai des milliers. Ils se baladent autour de moi en nuages de mots-papillons.
Mes mots préférés, ce sont tous ces mots ineffables, indomptables, insaisissables.
Ce sont les mots sauvages, ceux qui ne se laissent pas approcher mais qui parfois viennent d’eux-mêmes se poser près de mon oreille et me murmurent leurs histoires. Ce sont les mots qui savent. Qui savent se faire discrets. Qui savent se faire désirer.
D’après la réflexion de René Char « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »
Un merci infini à Nog Lhuisne.