On dit qu’à force de trop d’émois le cœur fane et puis s’assèche. Il s’agit d’un processus long. Chagrin après chagrin, le palpitant se recouvre de couches poussiéreuses. Chaque amour, chaque fulgurance parpille un peu de la poussière accumulée. Mais elle finit toujours par retomber, en strate plus épaisse, plus dense. Et, petit à petit, le cœur se sédimente en roches plus ou moins dures. Calcaire, granit, gypse, marbre protègent des émotions trop fortes, trop violentes, trop profondes.
Il arrive parfois qu’un Oiseau de mauvais augure transporte avec lui des graines de Lierre qu’il échappe sur ce cœur de pierre. La plante opportuniste trouve en la sécheresse rocailleuse l’énergie nécessaire pour se développer. La liane s’enracine profond, aspirant tout battement, tout sursaut d’émotion, si faible soit-il. Elle se développe, se déploie, grandit et enserre jusqu’à étouffer le petit cœur, jusqu’à boire la moindre goutte de vie qui pourrait s’écouler encore. Alors l’organe vital s’assèche complètement, et, sous la pression si forte du Lierre qui le comprime, éclate en poussières de roche plus fines encore que des cendres d’étoiles.
Le Tailleur de cœurs de pierre connaît bien les ravages que peut faire le Lierre lorsqu’il s’enracine. Ainsi, toutes les nuits, il s’arme de ses outils pour éradiquer l’enceinte de roche. Complice de Morphée, il attend que le Porteur de cœur de pierre soit profondément endormi, lové dans les ailes mordorées apaisantes, pour se mettre au travail. Avec la délicatesse d’un joaillier, à l’aide d’un petit maillet et d’un minuscule burin, il martèle habilement. Strate après strate, il libère le palpitant qui doucement retrouve de sa vigueur. C’est un travail qui demande une dextérité particulière pour ne pas réveiller et surtout ne pas blesser le petit cœur déjà meurtri. Parfois, lorsqu’il sauve un cœur qui a été griffé plus profond, il découvre une gemme précieuse entre les couches rocailleuses : tourmaline, œil de tigre, labradorite, pierre de lune. Il dépose alors la pierre de protection sur la fenêtre de la chambre. Avec la complicité de la Lune, celle-ci brille d’une lumière si belle, qu’elle dissuade tout Oiseau de mauvais augure d’approcher ce cœur de nouveau vivant et prêt à vibrer encore. Au petit matin, le Porteur de cœur de pierre se réveille léger, empli d’une allégresse qu’il avait oubliée, prêt à aimer et être aimé.
D’aucuns disent que le Tailleur de cœurs de pierre a mauvaise réputation. Moi, je crois qu’ils n’ont pas compris. Il a tant et tant de cœurs à panser, et pourtant, jamais il ne bâcle son travail, accordant à chacun l’attention dont il a besoin pour palpiter de nouveau, retrouver la légèreté d’un papillon.
Image par Matteo Orlandi de Pixabay
Nog
Très beau texte dont chaque mot est buriné avec le soin d’orfèvre d’un vrai panseur de cœur. Bravo ♥ !
Plume
Merci infiniment, Nog