Mesdames, merci.

Au nom de mes amies, sœurs, cousines, parentes qui me racontent régulièrement le pied qu’elles prennent à se faire tripoter et peloter dans les transports, merci.

Au nom de toutes ces femmes qui m’ont expliqué à quel point ça les excitait d’être plaquée contre un mur pour se faire « voler un baiser » (1) qu’elles refusaient d’offrir, merci.

Au nom de tous ces hommes, pauvres petites choses si fragiles, victimes de ces femmes « perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées » (2), merci.

Pour le fou rire que j’ai eu en vous lisant, merci.

Mon leitmotiv de l’année 2018 sera, grâce à vous, « l’indécence et l’infamie, mieux vaut en rire qu’en vomir ». 
Alors j’ai ri. A gorge déployée. Pour ne pas vomir.

Mesdames, votre tribune parue dans Le Monde ce matin, puis ensuite sur votre blog est infâme. C’est dommage, vous auriez pu dire des choses intéressantes. Vous auriez pu dire, par exemple, qu’à côté de la notion de consentement, il y a la notion de désir. Qu’une personne peut consentir sans désir, ou même désirer et ne pas consentir ; que parfois, consentir c’est renoncer à choisir, c’est se résigner. Vous auriez pu dire encore, qu’une agression, même si on choisit d’en faire un « non-événement » (1), reste intolérable. Vous auriez pu parler de la communication non-verbale et du langage corporel, qui parfois en disent beaucoup plus que la parole. Vous auriez pu parler du jeu de la séduction. Dire que ce jeu se joue à deux, dans le respect et non dans l’agression, la domination et la soumission d’une des personnes concernées. Vous auriez pu parler du contexte. Des situations appropriées et inappropriées. De l’amour et du sexe. Du sexe sans l’amour. De l’amour sans le sexe. Et du plaisir. Vous auriez pu parler de l’éducation des garçons à être attentifs au corps, aux regards, aux crispations, aux paroles au lieu de vous contenter d’aborder l’éducation des filles. Vous auriez pu dire tout cela.

Mais non. Vous avez choisi de défendre le droit à « importuner », à être importun, à « ennuyer, gêner, par sa présence ou sa conduite » (3). Sous le prétexte d’un plaidoyer en faveur de la « drague » (1) et de la « galanterie » (1), vous défendez cette idée selon laquelle la « misère sexuelle » (1) de certains hommes légitimerait leur comportement d’agresseur. Cet argument répété à loisir et depuis des siècles par tous les défenseurs du viol et des agressions envers les femmes. Votre discours enferme les hommes dans ce cliché rétrograde et avilissant de prédateur incapable du moindre discernement. Et dans le même temps, vous détruisez et piétinez en quelques minutes le courage dont ces femmes ont fait preuve en osant prendre enfin la parole qu’on refusait de leur donner.

Au contraire de ce que vous avancez dans votre tribune, Mesdames, la libération de la parole est nécessaire et indissociable de la libération sexuelle des femmes. Les femmes ne peuvent jouir pleinement de leur sexualité qu’à la condition qu’elles s’émancipent de la position d’objet qui leur est octroyée afin de devenir sujet, actrice, de leur sexualité. Votre tribune, Mesdames, fait de vous les « ennemis de la libération sexuelle » et les « pires réactionnaires » (1) que vous croyez dénoncer ici. Vous ne voyez dans la libération de la parole des femmes que misandrie et « haine des hommes » (1) ? Laissez-moi vous dire, Mesdames, que votre plaidoyer n’est que misogynie et haine des femmes. Car quiconque aime les femmes ne saurait tolérer, justifier et accepter l’ignominie dont vous vous faites aujourd’hui les avocates.


(1) Extrait de la tribune publiée dans Le Monde et sur le blog « pour une autre parole »
(2) Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour
(3) Le Robert, édition poche + 2017
Lire aussi l’article « Le mot : puritain » par Clémentine Autain pour Regard


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