Spoke Orkestra est un collectif spoken word composé des pionniers du slam français. Aux voix et aux plumes on retrouve donc D’ de Kabal (s’écrit D-prime mais se prononce D ; binôme de Djamal au sein de Kabal, auteur, comédien, metteur en scène, artiste multiple), Félix J (Félix Jousserand, auteur, éditeur, slameur…) et Nada (considéré comme LE premier slameur français, auteur lui aussi). Le tout s’articule autour d’une mise en musique de Franco Mannara, compositeur et bidouilleur sonore hallucinant et halluciné.

Jamais un album n’a aussi bien porté son nom. Oreilles sensibles, abstenez-vous !

Le collectif annonce la couleur dès le premier morceau. L’album s’ouvre sur les accents céliniens de Nada. Une plongée immédiate dans un monde qui laisse crever ses prostituées dans l’indifférence générale. La couleur est annoncée. Ce sera sombre. Très sombre.
S’en suit la rencontre avec Félix J, le raconteur d’histoires, le conteur de la bande. Pour beaucoup le plus soft aussi, pourtant lorsqu’on s’imprègne de ses textes, il ne l’est pas tant que ça. Sans doute moins cru que ses comparses, mais ce qu’il dit est tout aussi important que ce qu’il ne dit pas. Troisième titre, Justice d’aveugle, la voix gutturale de D’, celle qui met mal à l’aise et qui dérange. Une nouvelle plongée dans un monde de violence. Celle où les flics abusent de jeunes mineures. Le point de vue est toutefois surprenant : ici, c’est la voix du bourreau qu’on entend, et non celle de la victime. Un texte sans concession. Au quatrième titre, Little Big Meuf, on retrouve les trois voix ensemble, pour la biographie de cette fille de pacotille, de ses rêves de paillettes et de sa déchéance.

Les titres s’enchaînent, alternant encore Nada, Félix J et D’ de Kabal qui revient avec Écorché Vif. Sans doute le seul titre que je ne peux pas écouter. Le texte beaucoup trop dur, trop cru pour moi. Je ne l’ai écouté qu’une fois, en 2007, je m’en souviens encore, j’étais au volant de ma voiture, je rentrais de la fac. J’ai failli m’arrêter vomir tant il m’a remuée. La mise en musique est sobre afin de laisser toute leur place aux maux de D’. Il y raconte l’histoire d’un jeune qui s’écorche, au sens littéral, avec une lame de rasoir chauffée à blanc pour ne plus être noir, de ne plus vivre le racisme du quotidien.

Accroche-toi bien cher auditeur : le Spoke Orkestra ne te ménage pas tout du long de ces cinquante et quelques minutes. Prostitution, viol, violences familiales, violences urbaines, indifférence de l’humain, destins brisés…

Seul l’instrumental Ovidie in the sky with dargent pourrait t’apporter une respiration. Mais tu peux faire confiance au talent de Franco Mannara pour que ce clin d’œil à la Lucy des Beatles soit lui aussi sombre, à l’image de l’album. Le titre Palmolive de Félix J est finalement assez soft. Enfin sur le forme, quand on réfléchit au fond, ça reste une image assez glauque de notre monde.

Au final, c’est une grande claque que prend l’auditeur avec ce premier opus de Spoke Orkestra. Une redéfinition du slam, qui perd la monotonie de ses déclamations a cappella, une poésie urbaine incroyable, le tout sur fond de guitares distordues, à la croisée de la littérature, du punk, du blues.